Nous apprenions dans un article de la Presse canadienne, repris dans Le Devoir le 3 mars 2014, soit avant les élections provinciales, que le Conseil du trésor du Québec voulait accélérer OPTILAB, une démarche d’optimisation de l’organisation des laboratoires médicaux qui s’inscrit dans le mouvement nord-américain du « choosing wisely ». La campagne « Choosing Wisely » est une initiative lancée aux États-Unis en 2012 par la Fondation de l’American Board of Internal Medicine (ABIM). Notons en passant que cet organisme offre une certification professionnelle critiquée par des médecins regroupés dans le mouvement Change Board Recertification.
Tel que précisé sur son site, la campagne « Choosing Wisely » fédère des organismes nationaux de médecins spécialistes et des organisations de consommateurs « pour aider les fournisseurs de soins, les patients et autres parties prenantes à penser et à parler de la surconsommation de ressources de santé aux États-Unis ». D’un côté, les partenaires professionnels sont invités à identifier cinq choses que les médecins et les patients devraient questionner. De l’autre, des pratiques « aimables aux patients » (Patient-Friendly) sont proposées pour fins de diffusion. La fondation américaine Robert Wood Johnson nous apprenait le 1er mai 2014 que des organisations non-médicales se joignaient à la campagne, notamment des associations de dentistes, de physiothérapeutes et d’infirmières. Ce processus d’agrégation d’associations n’est pas sans rappeler le phénomène chimique de précipitation dans une solution qui a atteint son point de saturation.
Sur le blog de l’ABIM, l’auteur Daniel Wolfson donne ses impressions sur l’expansion globale de « Choosing Wisely » et se dit « fasciné par les différentes façons dont s’y prennent d’autres pays pour faire la promotion de la campagne auprès des médecins et des patients, et s’en servent comme levier pour s’attaquer aux questions prédominantes de leur système de santé particulier. »
L’expansion canadienne de la campagne a été lancée le 2 avril 2014 à Ottawa sous le nom « Choisir avec soin ». Financée en partie par l’Université de Toronto, la petite équipe est dirigée par Dr. Wendy Levinson et compte parmi ses membres deux étudiants inscrits au programme LEAD de
médecine de cette université. Le programme LEAD est une marque développée par un organisme basé à Atlanta et qui compte quatre employés. Sur le site de LEAD, on peut lire que d’ici 2020 la marque sera globale. En 2015, le LEAD Health Science Institute sera établi et offrira dès 2016 un programme d’été, probablement par l’intermédiaire d’universités affiliées.
En incluant les entreprises partenaires des différents organismes et fondations cités dans cet article, on obtient le portrait d’un vaste réseau globalisé dont les composantes ne sont pas liées directement entre elles par une hiérarchie claire mais qui bénéficient individuellement de l’harmonisation de leurs actions. Nous comprenons que c’est dans ce mouvement de globalisation que s’inscrit le projet OPTILAB, lancé au Québec en septembre 2011 pour centraliser certains tests de laboratoire au sein d’établissements sélectionnés. La transparence du projet est assurée par le bulletin OPTILAB Express, disponible sur le site du Ministère de la santé et des services sociaux. Nous constatons qu’OPTILAB fédère une panoplie d’organismes privés, ce qui s’harmonise bien avec des campagnes globales comme « Choosing Wisely ».
D’après cet article du Devoir, le projet OPTILAB devrait être achevé en 2018. Selon le protocole de novembre 2013 conclu entre les médecins spécialistes et le Ministère de la santé et des services sociaux, cela pourrait donc se chiffrer sur cinq ans à 14,800 heures de présence payées sur les divers comités OPTILAB rien qu’aux médecins spécialistes, soit environ 2.7 M$ payés par la Régie de l’assurance-maladie du Québec (RAMQ). Et ça, c’est sans compter la rémunération éventuelle des autres participants.
Comme c’est rapporté par Léo Gagnon dans le Courrier de Portneuf, même si on évoque des montants allant de 50 M$ à 150 M$, les économies exactes qui seront engendrées par OPTILAB ne sont pas connues. Selon le Dr. Jean Rodrigue de l’Agence de santé et des services sociaux de la Montérégie, OPTILAB a de bonnes chances d’être reconduit par le ministre Barrette parce qu’il s’agit d’un courant mondial et « même si on ne sauvait pas une tonne d’argent, on aura un réseau plus performant ». Le Dr. Barrette, pour sa part, voudrait « des évaluations financières adéquates ».
Nous avons vu dans cet article comment un mouvement spécifique de réorganisation dans le système public de santé et de services sociaux, soit le projet OPTILAB, bien qu’initié au niveau du gouvernement du Québec, finit par s’inscrire dans un mouvement global par le biais de fondations et d’organismes privés qui en orientent les normes, sans qu’il y ait d’objectif d’ensemble clair. Serons-nous sauvés par une génération de cadres-médecins formés au LEAD? Il faudrait être bien naïf pour mettre là ses espoirs. La « culture Santé » que beaucoup d’adhérents au mouvement global appellent de leurs vœux me paraît relever de l’ignorance. Si c’est ce genre de culture qui est proposée, je veux bien qu’on me considère un inculte. Qui veut l’être avec moi?
Excusez la mise en page, je ne maîtrise pas encore très bien le médium. La photo est tirée de Wikimedia à l’adresse : http://commons.wikimedia.org/wiki/File:%C3%89douard_Manet_-_Le%C3%A7on_d%27Anatomie.jpg?uselang=fr
Pas de problème, on ajuste. Merci pour cet article éclairant !