Québec solidaire s’inquiète de la décision judiciaire de refuser au militant Hamza Babou la liberté durant les procédures judiciaires auxquelles il fait face. Devant ce jugement qui s’insère dans une vague de répression des activistes et que l’avocate du militant, Véronique Robert, qualifie de jugement politique, le parti de gauche sollicite la parole des juristes et des défenseurs des droits de la personne pour se demander si c’est comme ça qu’en démocratie on protège le droit à la dissidence, à la grève et, surtout, le droit des accusé(e)s. «On assiste à une dérive de la confiance du public en ce système», selon lui.
Amir Khadir a tenu à mentionner certains des principes qui guident les tribunaux. Citant un récent texte d’Yves Boisvert dans La Presse, il a rappelé que les personnes accusées ont droit à la présomption d’innocence ainsi qu’à la liberté durant les procédures judiciaires, sauf en cas d’exception bien définie, même si le crime reproché est passible d’une peine d’emprisonnement.
M. Khadir a souligné le niveau de gravité des gestes reprochés à Hamza Babou, insistant sur le fait que le jeune homme a été arrêté non pas en lien avec un meurtre ou un vol qualifié mais en lien avec des infractions commises dans le cadre du mouvement de grève étudiante. Les 14 chefs d’accusation, qui incluent agression armée, voies de fait, méfait, menace, attroupement illégal et harcèlement criminel, dévoilent dans leurs détails des gestes tels que des jets de serpentins en aérosol. Aucune accusation ne réfère au non-respect de l’injonction obtenue par l’Université du Québec à Montréal (UQAM). Le député de Mercier a rappelé qu’en parallèle au traitement judiciaire expéditif à l’endroit de M. Babou et d’autres militants et militantes, des «bandits à cravate», dont le passage de plusieurs d’entre eux devant la commission Charbonneau a horripilé l’opinion publique, ont droit à la remise en liberté. Une telle différence de traitement alimente selon lui un sentiment de deux poids deux mesures qui porte une «grave atteinte à la crédibilité et à la nécessité de l’impartialité du système judiciaire».
Rappelant les interventions du ministre de l’Éducation François Blais, qui a appelé à davantage de répression contre les militants et militantes du milieu étudiant, Amir Khadir affirme que les tribunaux doivent s’assurer de ne pas «alimenter la perception que la justice s’est pliée aux exigences du pouvoir politique». C’est donc dans la perspective de protéger cette indépendance que son parti en appelle à une révision de la décision, sans émettre d’opinion sur les gestes reprochés.
Et si le juge avait raison?
L’avocat réputé Julius Grey, quant à lui, se garde bien d’attaquer le jugement ou encore le juge. «Le recours contre le jugement, ce n’est pas la critique du juge, c’est l’appel», affirme-t-il fermement, ajoutant être confiant de voir la décision renversée par la Cour supérieure. Le spécialiste des libertés individuelles ne partage d’ailleurs pas la crainte de M. Khadir et de Me Robert quant à un éventuel caractère politique de la décision. Selon lui, les cours canadiennes ont bien résisté aux assauts politiques au fil de l’Histoire.
Bien qu’il en doute fortement, Me Grey n’exclut pas que le juge Laberge puisse avoir vu juste dans les attentes du public envers le système judiciaire. C’est d’ailleurs là le coeur de son inquiétude. «La question se pose à savoir si le juge a raison, s’il y a une vague d’intolérance à la dissidence dans notre société.» Une situation à laquelle la réponse doit être une discussion impliquant toute la population sur la tolérance à la dissidence et sur le droit criminel. «La dissidence est importante, poursuit-il, surtout quand elle n’est pas populaire.»
Me Grey constate que, depuis quelques années, les principes fondamentaux du droit criminel se perdent. Listant notamment la preuve au-delà du doute raisonnable, la peine proportionnelle et le caractère ultime et rare de l’incarcération pré-procès, le juriste pointe du doigt une montée de populisme. Il rappelle d’ailleurs que même des gens accusés de meurtre ont parfois droit à la liberté avant la condamnation. Me Grey insiste sur les effets accablants d’une condamnation sur la carrière d’une personne. Selon lui, des gens pas foncièrement malhonnêtes se voient exclus de la société et sont traités comme des citoyens et citoyennes de seconde classe. C’est ce qui le fait insister sur le respect des droits des personnes accusées.
Le juriste a aussi déploré l’ignorance que subit l’absolution. Saisissant la balle au bond suite à une question de la journaliste Marie-Michèle Sioui pour Amir Khadir sur les procédures judiciaires qu’a vécu sa fille Yalda Machouf-Khadir, absoute en février dernier, Me Grey expliqua aux médias qu’une personne absoute est réputée ne pas avoir commis d’acte criminel, qu’elle ne mérite aucune sanction et qu’elle a agi de bonne foi. L’absolution subit selon lui le même traitement que les autres principes du droit criminel dans l’opinion publique. Ce changement s’illustre dans la question posée par Mme Sioui, une question «qui ne devrait pas surgir à tout bout de champ», tranche Julius Grey.
«Nous ne sommes pas en sécurité si ces principes de droit criminel ne sont pas respectés», dit-il. «Peu importe la réponse en appel, il y a un danger pour la liberté.»
Photos: Pierre-Luc Daoust