Santiago Bertolino, à qui l’on doit notamment la co-réalisation de Carré rouge sur fond noir, fait partie de cette nouvelle génération de cinéastes qui ont contribué à renouveler le documentaire citoyen. Sillonnant le monde, son intérêt pour le Moyen-Orient l’a amené à tourner une série de courts métrages sur la région, notamment à propos du conflit israélo-palestinien.
Avec un tel parcours, on comprend que le documentariste ne pouvait trouver mieux comme sujet avec Jesse Rosenfeld, qu’il a rencontré en 2011 sur la « Flottille de la liberté pour Gaza ». Reporter pigiste farouchement indépendant, engagé et politisé, Rosenfeld sillonne le Moyen-Orient avec son carnet et son stylo pour y décrypter les conflits.
« Il avait l’air passionné, il comprenait bien la réalité des activistes qui avaient embarqué sur le bateau et il avait une connaissance très poussée des enjeux politiques au Moyen-Orient. Il travaillait à la pige et réussissait à vivre de ses articles tout en ayant un point de vue critique sur la situation. » dira à son propos Santiago Bertolino.
Certaines scènes tournées sur le terrain nous entraînent dans des situations dignes des films d’action, cumulant jusqu’à une scène époustouflante, tournée sur le front de la guerre. Ce qui n’est pas sans rappeler, dans une certaine mesure, certaines scènes de War Photographer, un documentaire sur le photographe James Nachtwey. La caméra, nerveuse, nous maintient sur le bout de notre banc, Bertolino, sur qui repose alors certaines décisions, nous fait vivre un grand moment de cinéma direct où l’auteur devient également acteur de son propre film pour notre plus grand bonheur. Une subjectivité assumée, comme on l’aime tant à 99%Média.
Mais la pertinence du film repose surtout sur le portrait dressé de ce journaliste engagé qui ne craint pas d’écrire ses analyses sur les situations complexes qu’il couvre. « Pour moi, Jesse ne verse pas dans cette sacro-sainte objectivité qui oblige parfois les journalistes à créer un équilibre entre des points de vue adverses et qui, finalement, crée plus de confusion qu’autre chose dans la compréhension d’un sujet». poursuit Santiago Bertolino.
Malgré la poussière, les routes sinueuses, les chambres d’hôtel et les décors orientaux qui servent de toiles de fond au film, ce dernier ne verse pas dans le piège de l’aventure et le propos en définitive pose d’excellentes questions quant au travail des médias. « Il faut des correspondants canadiens qui vivent à l’étranger et qui nous rapportent la nouvelle ici, qui ne vont pas juste aller dans les conférences de presse, mais plutôt se rendre sur le terrain pour rencontrer la population, sans nécessairement être escortés par des militaires… Jesse, c’est ça qu’il fait, il veut apporter sa vision personnelle sur les choses, sans être contrôlé par le pouvoir en place, par exemple. »
Indépendant, mais qui doit batailler dur. Les conflits qui se déroulent sous nos yeux dans Un journaliste au front ne se résument pas qu’à ceux sur le terrain. C’est aussi cette guerre permanente que doit mener le journaliste pour convaincre les éditeurs de le financer et de le publier.
À travers le parcours de Jesse, on mesure alors l’ampleur de l’enjeu actuel de l’information qui nous donne à voir et comprendre le monde au quotidien. Car si les défis sont politiques, ils sont aussi financiers dans un contexte de crise médiatique où les revenus sont en décroissance. Paradoxalement, des journalistes indépendants comme Rosenfeld sont aussi une solution à ce problème. Grâce à sa plume et les perspectives sur les conflits qui lui sont propres, en cherchant à décrire « qui sont les gens du Moyen-Orient et comment ils sont touchés », Rosenfeld a réussi à se construire un large auditoire dans les pays anglo-saxons.
En bout de ligne, c’est la question du regard qui s’impose dans Un journaliste au front. Regards de ce journaliste indépendant et celui du cinéaste qui se combinent pour le bénéfice du nôtre: « pour moi, c’est crucial que les Québécois, les Canadiens soient mieux informés sur ce qui se passe à l’étranger, à travers une perspective dont ils se sentent proches. C’est comme cela, entre autres, que les gens vont mieux comprendre la réalité des nouveaux arrivants au Canada, ou qu’on peut combattre certains préjugés racistes. L’information sur le reste du monde participe à l’ouverture d’esprit » dira Bertolino, partageant visiblement le même engagement que son sujet. L’art de la guerre, c’est, en finalité, de tisser des liens.