Nul doute que le reportage de TVA Nouvelles portant sur le chantier près de mosquées a eu des effets dévastateurs et qu’au moment d’écrire ces lignes, il existe encore des auditeurs croyant à la thèse avancée par ce reportage bâclé, malgré les correctifs venus trop tardivement.
Il y aurait long à dire sur les conséquences néfastes autant pour les communautés visées injustement que pour la société québécoise déjà fragilisée sur le plan identitaire. L’espace public québécois est aujourd’hui vicié, l’absence d’éthique est trop souvent la norme et la méfiance de l’Autre est visiblement une source de revenus.
L’apothéose
Avec la baisse des revenus publicitaires qui les plonge dans une crise “généralisée”, l’air du temps chez les médias est au topo sulfureux générant de ” l’engagement” sur les réseaux sociaux et cherchant à attirer des clics sur la publication.
Ce reportage s’inscrit dans une suite logique depuis 2006, année où éclata la crise des accommodements raisonnables, mettant en scène des thèmes identitaires et en constitue en quelque sorte l’apothéose.
lI n’y a pas que l’information qui est devenue une marchandise; la haine prête à être distillée l’est également, un carburant capable d’allumer des incendies devenant vite hors contrôle.
Une fois la machine emballée, rien ne semble en effet l’arrêter. L’effet multiplicateur des réseaux sociaux agit comme un verre grossissant, donnant de l’importance à un fait divers qui devient une cause mobilisant jusqu’à l’Assemblée nationale. Triste spectacle que celui d’une société qui, en l’espace de quelques jours, s’émeut autour d’un mensonge.
Alors que la locomotive TVA fonçait à toute vapeur vers la catastrophe, les “leaders d’opinion” chez Québécor détournaient le regard. Dans les pages du Journal de Montréal, aucun n’a osé commenter la dérive ou mettre en doute la version première du reportage.
En finalité, malgré les mises au point, les clics et les partages ont engendré du revenu. Cette fausse nouvelle, transformée en marchandise sur les réseaux sociaux, a été payante. Quant à la réputation, bien qu’elle soit entachée, les firmes de relations publiques savent comment gérer.
Un contrepouvoir contre les dérives médiatiques
C’est ici qu’il importe de tirer des leçons pour les médias indépendants.
Dans un contexte ou un nécessaire travail d’introspection des médias de masse au Québec est déficient, la présence de ces derniers est vitale dans l’écosystème médiatique. Le portail infos.media en compte plus d’une trentaine au Québec. Il revient aux médias indépendants de faire le travail de contre-pouvoir, de recadrer les débats et de questionner les priorités des enjeux.
Le modèle unique de la marchandisation de l’information doit être questionné par d’autres modèles qui ont un rapport différent avec la nouvelle.
Mais cette confrontation, bien qu’elle soit saine et nécessaire, est loin d’être suffisante. Faute de moyens, les médias indépendants se restreignent à suivre la parade après coup, à commenter sans avoir le contrôle sur la chaîne de production de l’information.
Nous vivons dans un univers submergé de commentaires, d’analyses, d’opinions, de points de vue.
Une diversité de regards et de propos qui ne doivent pas nous faire oublier la pauvreté de la nouvelle, produite par un petit nombre d’acteurs médiatiques qui contrôlent l’agenda médiatique, de pair avec de grandes firmes de relations publiques. Un fleuve de commentaires, sur un même sujet. Est-ce là un signe de santé démocratique ?
La nouvelle et l’information sont produites de façon standardisée, en suivant des règles bien précises, cherchant à répondre à la question primordiale : qu’est-ce qu’il s’est passé d’important aujourd’hui ? Les médias indépendants sont là pour nous rappeler que la «Une» décidée par nos médias traditionnels n’est pas nécessairement la plus significative.
On ne produit pas de l’information de la même manière quand on est une multinationale, une coopérative ou un OBNL.
Le financement, le nerf de la guerre
Le gouvernement du Québec a annoncé l’octroi de près de 20 millions pour le virage numérique des médias écrits «afin de franchir la crise actuelle». Encore faut-il que les médias indépendants y aient pleinement accès. Si la part du lion va aux conglomérats, ce financement et les initiatives à venir risquent d’accroître davantage les inégalités dans le monde de l’information.
Il importe que les médias indépendants puissent avoir les moyens d’accomplir leur travail adéquatement. Il y va de la santé de notre espace public.