Le vendredi 22 février 2019 vers 10h15, tous les étudiants et étudiantes de l’UQAM ont reçu un courriel assez étonnant de la part de la direction de l’institution. Ce courriel était en réponse au mouvement de grève qui fait rage un peu partout au Québec et particulièrement à l’UQAM : « concertation avec les responsables académiques et les instances concernées, en œuvre pour valider l’atteinte des objectifs de formation par les étudiantes et L’Université, en devra au moment voulu évaluer ces impacts et statuer sur les mesures à mettre les étudiants », pouvait-on lire. « Dans le cas précis des stages, […] il n’existe aucune garantie que les périodes de stage manquées pourront être reprises ou complétées. » Le coup de semonce était lancé.
La direction menace ainsi indûment les étudiants que, s’ils font la grève, il est possible que leur session ne soit pas validée. Laissant planer le doute à savoir si la session sera reconnue ou non, elle ne clarifie pas plus les paramètres entourant la décision ou encore si les frais de session seront remboursés. La direction juge ainsi convenable de menacer les élèves que leur avenir pourrait être compromis si la mobilisation sociale collective devait se poursuivre. Elle joue la carte de l’intérêt individuel contre un enjeu collectif avec l’objectif beaucoup trop clair de diviser les étudiants pour mieux régner.
[su_pullquote]Ce qui est troublant, ce n’est pas de voir la direction jouer sur cette dualité individu vs. collectif. C’est plutôt que ce courriel illustre très clairement que les institutions d’enseignement ne sont plus conçues pour jouer un rôle dans le développement du citoyen comme être social d’une collectivité.[/su_pullquote]Ce qui est troublant, ce n’est pas de voir la direction jouer sur cette dualité individu vs. collectif. C’est plutôt que ce courriel illustre très clairement que les institutions d’enseignement ne sont plus conçues pour jouer un rôle dans le développement du citoyen comme être social d’une collectivité. L’objectif ne peut être plus clair : on vise maintenant à être une succursale de l’économie de marché qui forme de futurs travailleurs. Le diplôme en est le laisser-passer, la grève, par définition collective, en est l’obstacle.
Dans l’argumentaire contenu ce courriel, les plus grands cerveaux de la machine à diplômes poursuivent en disant que « l’absence à une ou plusieurs séances de cours peut avoir des impacts pédagogiques importants et limiter l’atteinte des objectifs d’apprentissages déterminés par un cours ». L’absence se défini par « le fait pour quelqu’un de ne pas se rendre là où il est censé se rendre, et, en particulier, de ne pas aller à son travail, de ne pas assister à un cours, etc. » (Larousse). Or, dans le cas précis d’une grève, les étudiantes et étudiants ont défini qu’elles et ils étaient censé-e-s se rendre dans la rue pour se mobiliser contre une injustice (présente ou à en devenir).
Devons-nous en conclure que notre session n’est pas à risque puisque nous ne nous rendrons pas coupables « d’absences » ou les hautes instances uqamienne sont-elles à ce point prétentieuses qu’elles croient détenir le monopole légitime de ce que constituent nos devoirs en tant qu’étudiant-e-s, mais surtout en tant que futures citoyennes et citoyens?
À quel moment la société a-t-elle dérapé des principes fondamentaux de l’éducation pour ainsi considérer que la grève, les assemblées étudiantes, les délibérations collectives et l’organisation politique de revendications sociales ne sont pas parmi les meilleurs moyens de formation d’un-e citoyen-ne? Quels sont les motifs cachés qui ont poussé la direction de l’UQAM à envoyer un rappel provocateur et arrogant d’un fait dont tous les étudiants sont déjà au courant? Ne devrait-elle pas encourager ses étudiantes et étudiants à parfaire leur éducation politique et civique? Encourager la mobilisation et l’implication sociale plutôt que de tenter de la réprimer?
Ce courriel, il faut l’avouer, est très inquiétant pour l’avenir de l’éducation, mais aussi pour celui de notre société. Les motifs de la direction sont tordus et ne servent clairement pas les étudiants, ceux qu’ils aiment nommer dans leur conseil d’administration « leurs clients ».
Or, face à l’influence toujours plus grande de la croissance et des maestros de l’économie, il semble légitime de se demander : peut-on encore sauver notre éducation des griffes des intérêts économiques? Je veux croire que cela est toujours possible, mais, pour cela, la solidarité doit se manifester dès maintenant envers la cause étudiante. La lutte se doit de commencer par une mobilisation élargie contre la marchandisation de l’éducation qui inclut l’exploitation grandissante des stagiaires.
Joël Chiarello
Étudiant à la maîtrise en science politique à l’UQAM