Après l’entrevue que nous a accordé Jooned Khan, hier, sur le militarisme et son impact sur les droits des femmes, nous poursuivons aujourd’hui avec un entretien réalisé avec Mme Claudine Thibodeau. Celle-ci est porte-parole auprès des médias, pour SOS Violence conjugale. Elle a accepté de répondre à nos questions sur la problématique de la violence conjugale, une réalité qui perdure au Québec, malheureusement, et ce, en 2015. Bon an mal an, l’organisme reçoit encore plus de 25 000 appels à l’aide.
Qu’est-ce que SOS violence conjugale?
Au service de l’ensemble de la population du Québec depuis 1987, SOS violence conjugale offre des services d’accueil, d’évaluation, d’information, de sensibilisation, de soutien et de référence bilingues, gratuits, anonymes et confidentiels 24h sur 24 – sept jours sur sept, aux victimes de violence conjugale et à l’ensemble des personnes concernées par cette problématique. SOS violence conjugale souhaite ainsi contribuer à améliorer la sécurité de toutes les victimes de violence conjugale. Ces services sont disponibles par téléphone par le biais d’une ligne sans frais disponible au 1-800-363-9010, par ATS pour personnes sourdes ou encore par courriel à l’adresse sos@sosviolenceconjugale.ca. L’organisme a pour objectif de répondre aux besoins des personnes qui appellent, en les dirigeant vers la meilleure ressource pour y répondre, dans leur localité. On peut trouver de l’aide à SOS Violence conjugale tous les besoins de sécurité, d’accompagnement ou encore pour de l’information, si l’on est victime de violence conjugale. Pour d’autres besoins qui résultent de la violence: soutien matériel pour la réorganisation de la vie suite à une séparation, aide au niveau légal et judiciaire, etc., SOS est là aussi. Les proches qui accompagnent une personne aux prises avec la problématique (incluant les enfants) peuvent également recevoir de l’aide, etc. La très grande majorité des appels à l’aide reçus à SOS violence conjugale proviennent de femmes victimes de violence conjugale mais plusieurs appels proviennent de proches et d’intervenants qui cherchent du soutien ou des ressources pour une personne qu’ils accompagnent. Les conjoints qui remettent en question leur utilisation de la violence dans leur relation de couple peuvent également faire appel à SOS pour trouver de l’aide.
Au fil des ans, la problématique de la violence conjugale est-elle mieux comprise par la population?
Il est difficile de se prononcer clairement sur cette question. De plus en plus de personnes voient clair dans la problématique et prennent position contre cette violence mais il demeure encore une très grande confusion et de nombreux préjugés sur les victimes de violence conjugale. Certains discours à l’effet que les victimes de violence conjugale sont en partie responsable de leur sort ou que l’on sous-estime la victimisation des hommes en contexte conjugal peuvent aussi venir ajouter à la confusion, autant dans la population que dans l’esprit des victimes elles-mêmes. On voit aussi que bien que la majorité des gens reconnaissent les formes physiques et criminelles de la violence conjugale, on ne comprends pas encore suffisamment les formes plus subtiles de la violence conjugale, par exemple les mensonges, la manipulation, le dénigrement, le contrôle des proches, etc., qui sont tout aussi importants dans le développement de l’emprise de la violence conjugale et dans la souffrance des victimes. Il demeure donc une tendance à juger les victimes de violence conjugale, à chercher ce qui cloche chez-elles, plutôt que de réellement les comprendre pour être en mesure de les aider.
Au fil des ans, la problématique de la violence conjugale est-elle mieux comprise et tenue en compte par le gouvernement (dans ses politiques)?
Au départ, il faut se rappeler que le Québec a été l’un des pionniers dans l’intervention en matière de violence conjugale dans le monde. Dans les décennies 80 et 90 par exemple, des politiques en matière d’intervention ont été adoptées par l’ensemble des intervenants gouvernementaux concernés et de nombreuses mesures ont été mises en place pour assurer un meilleur financement des ressources en violence conjugale, une action plus concertée entre les différents milieux d’intervention et une sensibilisation accrue dans la population. Dans les dernières années par contre, on note qu’il semble y avoir moins d’efforts de sensibilisation, malgré le fait que les taux de violence conjugale déclarés aux services policiers, par exemple, ne baissent pas. Les ressources, notamment les maisons d’hébergement qui accueillent les femmes victimes de violence conjugale avec leurs enfants, sont fréquemment remplies à pleine capacité et il n’est pas rare que les intervenantes de SOS violence conjugale peinent à trouver une place d’hébergement pour des victimes qui en ont pourtant un grand besoin. Les maisons de deuxième étape (qui permettent aux femmes de continuer leur processus de guérison après être sorties de la relation et qui peuvent poursuivre le travail débuté en maison d’hébergement), ne sont pas assez nombreuses et ne suffisent pas à la demande. Il y a un manque de services prolongés, qui pourraient venir en aide aux femmes dans des situations où le danger et les répercussions de la violence conjugale perdurent longtemps après une rupture. Il faudrait donc investir davantage dans la prévention et la sensibilisation ainsi que dans un financement adéquat des ressources existantes et dans la création de nouvelles ressources pour répondre plus adéquatement aux besoins des victimes.
Au niveau de la justice, la problématique est-elle bien comprise?
La violence conjugale demeure l’une des problématiques criminelles les plus répandues, représentant près de 20 000 infractions au Québec dans les dernières années. De plus, ce chiffre serait bien loin de représenter l’ensemble des situations qui pourraient être rapportées aux services policiers, puisqu’on estime qu’il ne représente qu’un peu plus de 20% de la réalité. Les intervenants des milieux policiers et judiciaires doivent donc régulièrement composer avec cette forme de criminalité bien particulière. Malheureusement, le contexte actuel est tel qu’il n’y a pas de loi qui criminalise spécifiquement la violence conjugale et que plusieurs formes de violence, dont la violence psychologique, ne sont pas reconnues comme étant criminelles. Il y a des pays où la violence psychologique commise dans un contexte de violence conjugale est reconnue comme étant criminelle, comme c’est le cas en France, ce qui pourrait grandement améliorer le traitement légal de la problématique. Il faudrait aussi une plus grande cohérence entre les différents tribunaux, pour éviter qu’une situation de violence conjugale reconnue en Cour criminelle ne le soit plus devant d’autres instances. Par exemple, le fait qu’une personne ait été reconnue coupable de violence conjugale devrait avoir une incidence importante dans ses modalités d’accès à ses enfants suite à une séparation, ce qui n’est pas toujours le cas. Il y a donc encore place à l’amélioration pour mieux aider et mieux protéger les victimes de violence conjugale, ce qui pourrait être fait par le biais de tribunaux spécialisés et intégrés en violence conjugale, comme on retrouve ailleurs dans le monde, dans la ville de New York, par exemple.
Quand on parle des personnes immigrantes, le problème de la violence conjugale est-il plus présent que chez les Québécois né(e)s ici?
Lorsqu’une personne immigrante subit la violence conjugale, les enjeux qui peuvent être associés au contexte migratoire (ne pas parler la langue, absence de réseau, difficulté à trouver un emploi, etc.) peuvent venir compliquer le processus et augmenter le besoin d’aide pour la victime. L’accès limité à des services adaptés pour les femmes de certaines communautés peut aussi augmenter le danger et l’emprise associés à la situation. Il serait cependant très difficile d’affirmer qu’il y a « plus » de victimes chez les personnes immigrantes et il faut se rappeler que la violence conjugale demeure une problématique très fréquente chez les femmes québécoises en général et non une problématique associée à une culture en particulier. De plus, rappelons nous que le Québec est toujours en quête de réelle égalité entre les sexes et que la majorité des gains des femmes l’ont été dans un passé qui demeure somme toute très récents.
Quand un homicide survient, d’une femme par son conjoint, par exemple, on entend souvent que l’homme étant souffrant. Que pensez-vous face au fait que plusieurs mettent la souffrance du meurtrier en évidence dans de telles situations?
Il faut dissocier la souffrance de la violence. La violence conjugale n’est pas une manifestation de souffrance et surtout, la souffrance n’enlève pas à quelqu’un sa capacité à décider de ses gestes. Il y a énormément de femmes et d’hommes qui souffrent dans notre société et la très grande majorité d’entre eux n’utilisent pas la violence pour exprimer leur souffrance. Il faut aussi savoir qu’il y a de nombreuses personnes qui sont violentes et qui ne sont pas souffrantes. Peu importe l’état de la personne, la violence est un choix, une prise de pouvoir sur une autre personne. Il faut reconnaître cette responsabilité des auteurs de violence pour pouvoir intervenir adéquatement face à la problématique de la violence conjugale et être en mesure de les aider à avoir des relations exemptes de violence. La déresponsabilisation, ultimement, ne sert personne. Lorsqu’un meurtre conjugal survient, il est important de s’assurer de véhiculer la bonne information et de ne pas déresponsabiliser l’agresseur en se centrant sur sa souffrance mais plutôt en envoyant un message clair : peu importe ce que l’on traverse dans la vie, on a le choix de ce que l’on fait et on est responsable de ses actes.
Un très grand merci à Mme Thibodeau!