Alors que l’hiver s’installe, l’Europe resserre son accueil aux réfugiés. Chaque mois, des nouveaux murs sont érigés et des politiques discriminantes forcent des milliers de réfugiés «non conformes» à errer aux frontières de l’Union. Depuis novembre, tous ceux n’étant pas Syrien, Irakien ou Afghan sont systématiquement refusés aux frontières macédonienne, serbe et croate.
Par ailleurs, la Commission Européenne a présenté ce mardi un plan pour renforcer la sécurité à ses frontières: l’objectif est de remplacer l’agence Frontex, qui gère présentement les frontières de l’Europe, par une Agence permanente de Garde-côte et de Frontières, qui jouirait d’un budget et d’un effectif deux fois plus important. Elle permettrait, selon Bruxelles, de limiter les flux migratoires et de sauver l’espace Schengen.
Hors, pendant que l’Europe se tient ainsi occupée à discuter de la sécurité à ses frontières, les réfugiés sur la route sont laissés à eux-mêmes. Dans les Balkans, le manque d’information disponible et l’absence de voies sécuritaires laissent place aux pires abus et encouragent à la fois l’expansion de réseaux de passeurs et la corruption.
Parcours d’Amin
J’ai rencontré Amin, 19 ans, dans le camp de Dimitrovgrad en Serbie il y a plus de deux semaines. Comme la plupart des réfugiés Afghans, il a quitté son pays après avoir versé 7 000 euros à un agent local pour qu’il sécurise son passage jusqu’en Allemagne.
De façon générale, un «contrat type» fonctionne ainsi : à chaque nouvelle capitale où transite le réfugié, l’agent de référence transfère un certain montant au passeur sur place, lequel assure ensuite le transport jusqu’à la prochaine destination, et ainsi de suite jusqu’en Europe. Comme plusieurs néanmoins, l’agent d’Amin n’était pas fiable. Après l’Iran et la Turquie, il a arrêté d’effectuer les transferts d’argent et Amin a dû se débrouiller seul avec les passeurs locaux.
Entre les passeurs, la police et la corruption locale
Amin a commencé à avoir des problèmes dans la capitale bulgare, à Sofia. Pendant 26 jours, il s’est retrouvé enfermé dans la maison d’un agent sans pouvoir s‘échapper. Le passeur demandait 2 000 euros par tête. Sans nouvelles de son agent de référence, il a fini par devoir se faire envoyer de l’argent par sa famille en Afghanistan.
Une fois relâché, il a quitté la Bulgarie à pied avec un groupe de réfugiés. Pendant deux jours et deux nuits, ils ont marché dans la forêt sans s’arrêter pour dormir ni pour allumer de feux. Ils avaient entendu les histoires de ceux qui se faisaient prendre par la police bulgare: ils se faisaient mordre par des chiens, voler et battre avant d’être déportés ou envoyé dans des camps.
Au matin du troisième jour, ils ont réussi à traverser sans se faire voir et son arrivés en Serbie. Loin des passeurs et de la police frontalière, Amin a alors été exposé aux tendances corrompues de la petite ville frontalière de Dimitrovgrad.
À peine sorti de la forêt, un chauffeur de taxi l’a convaincu de lui verser cinquante euros pour être conduit au camp, un trajet de dix minutes. Sur place, il fit le constat d’un autre type d’extorsion : à l’intérieur, les policiers demandaient de l’argent aux réfugiés pour qu’ils s’enregistrent. Plus le montant était élevé, plus le processus était rapide. Les poches vides, Amin a dû attendre une semaine avant d’obtenir ses papiers, puis il a sauté dans le premier bus en direction de Belgrade.
Miksaliste, Belgrade.
Je triais des souliers dans le centre pour réfugiés de Miksaliste quand je l’ai croisé par hasard, une semaine plus tard. Il s’était échappé de la maison d’un agent le matin même.
«J’ai sauté de la fenêtre du quatrième étage», m’a-t-il dit avec un sourire incertain.
Il était arrivé à Belgrade en cherchant un passeur local et s’était retrouvé au soi-disant «Afghan Park» près de la gare centrale, lieu de rencontre de tous les passeurs de Belgrade. Là-bas, un d’eux l’a convaincu de le suivre. «Il m’a dit qu’il s’occuperait de moi, qu’il me donnerait un rasoir et des nouveaux vêtements. Je l’ai suivi dans une maison. Il m’a enfermé dans une chambre et m’a volé mon téléphone. Il a dit qu’il ne me laisserait pas sortir avant que je lui donne 2 000 euros. »
«Je suis resté enfermé cinq jours. Aujourd’hui, j’ai enfin réussi à m’échapper et je suis venu ici.»
Je lui ai demandé s’il comptait prendre le train à 4 euros pour Sid, la frontière Croate. Il m’a regardé étonné, il n’était pas au courant. Quelques heures plus tard, je l’accompagnais sur la plateforme de train. Il m’a salué et m’a promis de m’inviter en Belgique dès qu’il serait installé.
Quelle sécurité?
Le récit d’Amin n’est pas singulier. Au camp de Belgrade, la plupart des réfugiés partagent des histoires similaires de contrebande, de violence et de corruption. Faute de coordination et d’information adéquate sur la route, ils se font aisément manipuler : à Belgrade, il n’est pas rare de croiser un réfugié convaincu que sa seule option vers l’Europe est un autobus à 200 euros.
Chaque jour, des masses de journalistes sont sur place à récolter leurs récits et leurs parcours : leur situation fragile n’est donc plus un secret. Pourtant, l’Europe ferme toujours les yeux et la situation demeure statique. Il y a dix jours, David Cameron se baladait le long de la frontière turque/bulgare aux côtés du Premier Ministre bulgare Boyko Borissov, le félicitant pour la gestion efficace de ses frontières et appelant l’Europe à le prendre comme exemple. Pendant ce temps, Amnesty International publiait un nouveau rapport sur les abus violents de la police bulgare envers les réfugiés.
Certes, la sécurité selon les normes européennes est un concept fort malléable. Or dans l’angoisse des attaques de Paris et des nouvelles «menaces terroristes», l’Europe s’est centrée sur une rhétorique sécuritaire austère aux migrations. Dès lors, si la porosité des frontières est présentée comme une menace alarmante, la corruption, les violations des droits de l’homme et le trafic humain, eux, peuvent bien fleurir en paix sur la route des Balkans.
Une chose est sûre, cette logique absurde est vouée à l’échec. Déjà, la politique de sélection des réfugiés selon leur nationalité a entraîné une vague de tensions ethniques aux frontières. Sans un plan d’action holistique et rationnel, le renforcement des contrôles aux frontières risque seulement d’enrichir les réseaux informels, de perpétuer les abus et de radicaliser les réfugiés laissés pour compte aux bordures de l’Union. Une recette peu enviable pour l’Europe.
– Photos par Alice Bernard