D’abord, je ne suis pas autochtone. Je ressens à la fois une sorte de malaise à publier mes impressions, une sorte d’hypocrisie, mais aussi un grand besoin de le faire. J’espère ne pas enterrer des voix autochtones en le faisant.
J’étais à la manifestation en soutien à la communauté Anishinabe du Lac-Simon. L’événement était organisé par des autochtones. Des gens de Lac-Simon qui devaient se présenter n’ont pas pu à cause de la météo.
La marche a commencé au métro Saint-Laurent et a passé devant le quartier général du SPVM avant de tourner sur Sainte-Catherine vers l’ouest.
Je pouvais entendre à la fois des slogans et chants autochtones, encouragés par des gens tenant un mégaphone, et des slogans anti-police typiques (typiques de mon point de vue de personne qui va dans des manifs à Montréal).
Il y avait une grande tristesse et sans doute aussi une colère dans la foule.
Nous sommes passé.e.s sous le pont Jacques-Cartier, sur Sainte-Catherine. Je vois un média quelconque qui tient une entrevue avec une femme autochtone.
BANG! Un truc explose, pas fort comme une bombe, mais assez pour que je me retourne. De deux points différents, de chaque côté de la rue, de la fumée s’échappe. Des trucs fumigènes quelconques (beaucoup de fumée, aucun problème à respirer ou irritation aux yeux), lancés par des manifestant.e.s. J’ai plus tard appris qu’il y avait aussi eu des roches lancées aux policiers.
Une femme s’exprime au mégaphone, pleine de colère et de tristesse devant tout ce qui arrive dans les diverses communautés autochtones. J’interprète ses sentiments comme venant à la fois de ces événements et aussi du fait que des fumigènes viennent d’être lancés, mais il est possible que la dernière partie n’était que de la projection de ma part.
Alors que nous tournons vers le nord, sans doute pour aller vers le quartier général de la Sûreté du Québec, la manifestation est déclarée illégale. On entend le message, sans doute émis par le camion-flûte.
Une femme autochtone s’indigne. Une violence coloniale (ces deux-là sont mes mots) de plus: même pas le droit de marcher dans la rue pour vivre la douleur, le deuil (ça, c’est une paraphrase de ses mots).
On traverse le boulevard de Maisonneuve…l’escouade anti-émeute est là. Peu de temps pour traiter l’information dans ma tête, les voilà qui foncent sur la foule. Plus tôt, sur Sainte-Catherine, je sais qu’il y avait au moins deux enfants dans la foule, mais je ne pourrais pas dire à ce moment-là. Je ne peux donc m’indigner spécifiquement du fait qu’on fonce sur des enfants (pas ce soir, en tout cas…).
Plusieurs personnes, dont moi-même, nous tenons dans un stationnement et laissons l’anti-émeute passer, dans la rue. Je les suis. Je vois un autre truc fumigène. Je ne serais pas étonnée que la personne en avait un dernier dans les poches et l’a lancé pour éliminer la preuve, maintenant que la police était là.
Ça tourne sur la rue suivante. Un autre nuage de fumée entre eux et moi. Je veux les rattraper, pour faire ma job de média. Je cours quatre pieds…mais le nuage n’était pas de simples fumigènes cette fois, mais des gaz lacrymogènes. Je fais demi-tour, trouve refuge un peu plus loin. Une manifestante me verse de l’eau dans les yeux (merci!).
La manifestation est terminée. Les participant.e.s sont dispersé.e.s; certain.e.s se regroupent au métro Papineau, juste pour jaser. Plus rien à signaler.
Alors, ces fumigènes. Si je vais à une manifestation contre l’austérité, le sexisme, la brutalité policière, la hausse des frais de machin, je tends à ne pas former d’opinion forte sur la décision de certaines personnes de péter une vitre ou deux ou de lancer un pétard. Mais, là, je suis un peu fâchée et j’ai honte.
L’anticolonialisme (qui était scandé plus tôt!) et la décolonisation, ça commence dans notre tête et dans le rayon immédiat de nos actes. Ça commence par reconnaître qu’il y a des moments où c’est pas à nous de leader. Les méthodes pour gérer la peine, la douleur, le deuil chez les autochtones ne m’appartiennent pas (leurs méthodes de célébrer non plus!).
En général, quand on me dit quoi faire, ça me répugne. Mais là, il y a un rapport historique spécifique. Oui, les autochtones et non-autochtones peuvent lutter ensemble dans un même but. Mais lorsque quelque chose les touchent spécifiquement, lorsqu’iels organisent un événement du genre, c’est leur espace. Nous nous devons de respecter cet espace, afin de décoloniser les rapports qui existent entre nous.
Je terminerais cependant en disant que je n’approuve pas du tout l’intervention du SPVM. C’était une soudaine violence inutile, qui ne fait qu’entretenir les vives blessures d’une communauté en deuil.
Photo: Rick Cognyl Fournier