Entretien avec M. Siegfried Mathelet de l’UNESCO-UQAM où il est en charge du Projet de recherche et de formation sur l’islamophobie et le fondamentalisme. Qu’est l’islamophobie, comment elle émerge-t-elle ? Comment voyage-t-elle dans divers courants politiques ?
Comment peut-on définir l’islamophobie?
L’islamophobie est un rejet, une pratique discriminatoire envers les pratiquants de la confession musulmane et par extension, aussi à ce qui se rattache à des institutions liées à cette religion (mosquée, commerce, etc.). Quand on s’interroge sur ce qui la favorise ou dans quel contexte elle émerge, on se rend compte qu’il est d’abord présent dans des discours idéologiques qui favorisent la haine de l’autre. À ce sujet, on retrouve l’idéologie de l’extrême-droite. Il faut dire que depuis septembre 2001, en Europe, ils ont été très ”vocal”, si l’on veut. Cela a finit par déteindre sur les partis ”mainstreams” qui ont commencé à aborder des sujets tels que la sécurité, l’immigration, etc. On a ensuite pu voir, en Europe, il y a quelques années, des personnalités politiques proches de l’extrême-droite, recevoir des subventions pour développer un discours islamophobe. Ce financement a été fait par des acteurs politiques en panne d’idées pour leurs projets politiques. Ainsi, une certaine droite idéologique a pu aller dans les discours à l’effet que la laïcité est un rempart contre l’islam. Déjà, dans ce discours, on colporte des stéréotypes, il y a l’idée que les musulmans sont à la conquête de l’Occident. Malheureusement, la gauche politique a elle aussi emboîté le pas, cette fois-ci en présentant un discours sur les droits de la femme, de la liberté d’expression, etc. On y prétend vouloir libérer les femmes musulmanes, même contre elles-mêmes, chose qui va à l’encontre même du féminisme. On a aussi vu que dans cette tendance politique, depuis les attaques contre Charlie Hebdo, il y a reprise d’un discours qui se demande si les musulmans peuvent être ”loyaux” à la partie, chose qui existait seulement aux États-Unis auparavant. On a donc vu, de cette manière, le discours idéologique normalement relié à l’extrême-droite traverser d’autres partis et arriver jusqu’à la gauche politique. Si on va faire un tour aux États-Unis, on a pu voir aussi des courants particulièrement virulents, notamment depuis l’arrivée de Obama sur la scène politique, on pense par exemple au Tea Party. On l’a donc surnommé Barack ”Hussein” Obama (en insistant sur le ”Hussein”) même s’il n’est pas musulman. Déjà, on voit qu’il y a un problème: on associe l’islam à une personnalité politique et ce, en la contestant. Cela faisant, on renforce l’image que l’islam est négatif. Puis, on a vu apparaître ici le dépôt du projet de Charte. En soi, le projet de Charte n’est pas islamophobe, mais il est vecteur d’islamophobie. C’est ce que les politiciens disent, comment les médias présentent le tout et comment la population s’approprie ce projet qu’il faut regarder. On a pu constater que le rejet et la discrimination envers les musulmans a ressorti. Depuis, on voit une augmentation du racisme, mais on voit aussi qu’il y a des moments-clés ou il y a des réponses islamophobes, des crimes islamophobes, suivant ce qui se passe dans l’actualité. Même si le pouvoir a changé de main, on continue tout de même à creuser les antagonismes. Si on pouvait voir des groupes d’extrême-droite de manière très groupusculaires, maintenant, on assiste peut-être à autre chose, avec l’arrivée de Pegidaa au Québec (groupe qui refuse toute immigration musulmane). Un cap vient d’être franchi.
Plusieurs contestent le terme d’islamophobie, disant que cela n’existe pas. Est-ce vrai?
On voit cette interrogation plus dans l’espace francophone. Tout cela n’est pas étranger à une polémique soulevée par la journaliste Caroline Fourest, en France. Celle-ci disait que le terme avait été inventé par les fondamentalistes iraniens et qu’on servait ces personnes en parlant d’islamophobie. Par contre, plusieurs chercheurs se sont mis à faire des recherches par la suite. Ils ont découvert que ce terme existait durant les années de la colonisation française. C’était un terme utilisé pour parler des méthodes du colonisateur envers les groupes qu’il colonisait, si ceux-ci étaient musulmans. Pendant plusieurs années, le terme est disparu mais a été repris dans les années 90 par des milieux de recherche. Il y a maintenant des centres de recherche, en Angleterre, aux États-Unis, en France, en Allemagne, qui sont spécialisés sur la question de l’islamophobie.
Certains disent que d’être contre l’islam, ce n’est pas être raciste. Que dites-vous à cela?
Auparavant, le racisme était basé sur la biologie et la supériorité. Par exemple, les Blancs se croyant supérieurs aux Noirs. Or, le visage du racisme a changé. On trouve aussi un racisme qui est basé sur la culture. Les gens qui adhèrent à ce racisme croient que les cultures sont, par définition, fixes, immobiles, qu’elles ne peuvent changer, qu’elles sont fermées. Souvent, on l’associe avec une religion en particulier. L’idée derrière cela est de parler d’un choc de civilisation, d’une incompatibilité entre les cultures qui nous obligerait à ne pas se mélanger. Dans ce racisme, les gens ne se disent pas supérieurs, mais ils ne veulent plus vivre avec ceux qui sont différents, au même endroit. Il faut revenir, à ce sujet, sur ce qui a été entendu lors du débat autour de la Charte. Quand on entend des propos, tel que ceux de Pauline Marois, sur les femmes voilées, c’était des propos racistes. Quand on constate que Jean Carrière du PQ était un fan de Marine Lepen, de l’extrême-droite française, quand on entend des propos islamophobes et antisémites comme ceux dit par Louise Mailloux, qui n’ont jamais été désavoués par son parti, quand on entend M. Allaire (ex-ADQ), qui dit que l’islam est une religion de violence, tout cela est très inquiétant.
Avec ce qui s’est dit, justement, lors de ce débat, plusieurs se posent la question si le PQ est devenu un parti d’extrême-droite. Est-ce le cas?
Je ne dirais pas cela. En fait, ce que l’on voit, c’est qu’il y a des mouvances d’extrême-droite, extrêmement actives. On les voit, si l’on veut, surtout en train de s’accoquiner un(e) candidat(e) qui pourrait gagner des élections. Ces mouvances sont différentes de celles que l’on voit en Europe, car ces dernières sont contre le système. Ici, par contre, elles ont la volonté d’être dans les partis, il y a une volonté d’entrer dans les instances du pouvoir. Ceci dit, il faut dire que ce sont des mouvances qui se promènent, donc elles pourraient se retrouver dans d’autres partis.
Un très grand merci à M. Mathelet!