Jooned Khan, qui fut pendant 40 ans un chroniqueur pour La Presse, en politique internationale, a eu l’occasion, tout au long de sa carrière de constater les dégâts de la guerre, en écrivant dessus ou en allant la constater sur place. Aujourd’hui à la retraite, il milite depuis 5 ans au sein du Collectif Échec à la Guerre, qui se veut un collectif québécois qui dit oui à la paix. Très grand humaniste, M. Khan a aussi consacré de son temps récemment à l’émission les ”Souverains Anonymes”, animé par Mohamed Lotfi, qui vise à promouvoir la réinsertion sociale chez les détenus de Bordeaux (voir lien ci-bas). Il a accepté de répondre à nos questions sur le militarisme, un sujet brûlant d’actualité, et surtout, une idéologie qui devrait nous faire réfléchir sur le sens réel que l’on donne à l’égalité homme-femme, dans notre société, alors même qu’on se targue d’être les défenseurs de cette égalité.
99% Média : Pour vous, comment peut-on définir le militarisme?
J.K. : Il s’agit d’une idéologie, qui peut par ailleurs devenir une culture. Sa priorité est la puissance militaire. À l’extrême, elle privilégie la solution militaire à tous les problèmes. À l’ONU, il y a une Charte qui a été mise en place suite à la Seconde Guerre Mondiale, qui stipule que les États, entre eux, doivent négocier, faire de la diplomatie et cette Charte prône le pacifisme. Cette Charte prévoit que l’usage des armes ne peut intervenir qu’en dernier recours. Or, avec le militarisme, cela devient la première solution et on exclut la diplomatie ainsi que la négociation. On voit que de plus en plus, le militarisme prend une place importante dans les rapports internationaux. À titre d’exemple, on a vu l’Union Soviétique s’effondrer, mettant fin à une Guerre Froide qui avait duré plusieurs décennies et le Pacte de Varsovie a par conséquent été dissous (il s’agit d’une alliance militaire entre la Russie et divers pays de l’Europe centrale, pour faire face à l’OTAN, en cas de guerre). Les Russes s’attendaient à ce que de son côté, l’OTAN cesse également ses activités, mais ce ne fut pas le cas, au contraire. Non seulement elle n’a pas cessé ses activités, mais elle a été renforcée. C’est l’OTAN qui a répondu, quand il y a eu des attentats à New York en 2001, en allant en Afghanistan, tout comme on la voit en Irak aujourd’hui et on voit aussi que l’OTAN souhaite l’adhésion de l’Ukraine au sein de ses membres.
99 % Média : Comment se manifeste le militarisme dans le contexte canadien?
J.K. : L’OTAN a trouvé des facilitateurs dans la droite religieuse et dans la droite néo-libérale. Cela facilite les interventions de l’OTAN.
99% Média : Retrouve-t-on ce militarisme dans le contexte québécois?
J.K. : Pendant très longtemps, les Québécois furent anti-militaristes et tout cela n’a rien d’étranger au fait que les Anglais étaient des conquérants militarisés. Il y avait un clivage permanent, les Québécois étaient même contre la conscription, lors des guerres mondiales. Par contre, le Québec, depuis 1976, a commencé à changer. Il y a un développement qui s’y est fait et on a vu l’émergence de strates sociales bourgeoises. On a vu apparaître des ingénieurs, des économistes, des patrons de compagnie, etc. C’est vers la fin des années 90 qu’on assiste à un entraînement vers l’OTAN. Certains veulent jouer dans la cour des grands, même si c’est pour faire du pillage ailleurs. On assiste aussi à une implantation d’industries militaires au Québec, notamment des compagnies israéliennes (qui fabriquent des drones contre les Palestiniens).
99 % Média : Quels sont les impacts de cette idéologie sur l’égalité homme-femme?
J.K. : Le militarisme est l’arme de choix du patriarcat machiste pour contrer le combat des femmes pour les droits égaux, tout comme pour mobiliser les hommes qui refusent l’égalité aux femmes, qui veulent maintenir les femmes dans des positions soumises et subalternes, et qui se sentent menacés par le combat féministe. Les femmes qui sont intégrées dans les armées de l’OTAN (US,Canada, Europe) sont obligées, de fait, de se “machiser” – et le viol de femmes militaires est devenu une épidémie.
La poussée féministe explique aussi la facilité avec laquelle les impérialistes de l’OTAN arrivent à mobiliser des miliciens supplétifs, au Moyen-Orient et en Afrique notamment – tous ces djihadistes autoproclamés et ces Boko Haram, sans oublier des milices non musulmanes au Sud Soudan, en Ouganda, dans l’Afrique des Grands lacs… Un exemple mérite qu’on s’y attarde : l’Afghanistan en 1979. Sous le régime communiste de Najibullah, les femmes Afghanes ont continué à faire des gains inaugurés sous les réformes modernistes de la monarchie de Zahir Shah. La militarisation des islamistes par l’OTAN en 1979 dans ce pays signifiait à coup sûr un abrupt recul pour les femmes et une avancée décisive pour la machisme afghan, enraciné dans la féodalité et dans la culture afghane des seigneurs de la guerre… Alors, le Nobel à Malala n’est qu’une honteuse feuille de vigne pour cacher des crimes terribles contre les femmes afghanes ! Et tu sais que dans les pays musulmans alliés, dit privilégiés de l’OTAN (Pakistan ou Arabie Saoudite, par exemple), le témoignage d’une femme en cour ne vaut pas la moitié, voir même le tiers, du témoignage d’un homme!
Un très grand merci à M. Khan!
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Pour mieux connaître M. Khan, voici un extrait textuel de l’émission à laquelle il a participé, au début février 2015, avec Mohamed Lotfi et les Souverains anonymes:
”Jooneed Khan, tu as fait le tour de la terre, tu as côtoyé les guerres et les paix. Tu as écrit sur les génocides, sur le Vietnam, sur l’Afrique du sud, sur la Palestine, sur le Congo et sur Haïti.. Tu as écrit sur Mandela, sur Arafat et sur Sankara. Tu as été témoin de la rapacité de l’homme et cela aurait pu te nourrir de desespoir et d’amertume. Dis-nous STP quel est cette recette magique qui continue à te donner, malgré tout, un regard humain sur l’humanité..?”
