Lundi, il neigeait alors j’ai mis mes bottes d’hiver pour aller couvrir la manifestation du jour. Malgré le mauvais temps, 2000 personnes travaillant dans le mouvement communautaire se sont rassemblées en après-midi au parc Émilie-Gamelin pour manifester contre les mesures d’austérité et rappeler au gouvernement que le sous-financement des organismes communautaires se chiffre à 225 millions de dollars par année. Selon Gilles, un manifestant, c’est la première fois de son histoire que le mouvement communautaire se mobilise dans son ensemble. La foule s’est mise en marche et le trajet s’est terminé à la place des spectacles. L’histoire que j’allais rapporter semblait somme toute banale : une mobilisation parmi une pléthore d’autres motivées par le ras-le-bol vis-à-vis les coupures dans les services sociaux.
Mais la couverture média m’a intrigué. En actualité, il y a des événements qui en chassent d’autres dans l’œil des médias de par leur importance. Ça arrive et c’est normal. Mais deux événements à prétention communautaire en même temps, dont l’un est occulté? Ça c’est vivement intéressant.
Lundi, c’était aussi l’aboutissement de « Je vois Montréal », un projet porté par Jacques Ménard, une personnalité du monde des affaires. En dehors de son travail dans le milieu financier, M. Ménard est connu pour son action philanthropique : il a cofondé Oxfam Québec, a œuvré à la Fondation de l’Institut de cardiologie de Montréal, et ce ne sont que quelques exemples. C’est, disons-le, un homme bien branché et d’une influence considérable. Entre autres, c’est grâce à lui qu’un consortium a pu être créé dans les années 90 pour racheter l’équipe des Expos de Charles Bronfman et ainsi éviter, du moins temporairement, la vente du club à des intérêts étrangers. Dans un profil qu’on fait de lui au Mclean’s, on l’appelle un «Mr. Fix-It» (Monsieur réparateur). Lorsque l’Université Concordia était dans la tourmente, suite aux primes de départ faramineuses versées à ses anciens chanceliers, c’est lui qu’on a mis de l’avant en 2011 pour redresser la situation.
L’histoire commence en juin 2012, quand débutent les audiences de la commission Charbonneau qui enquête sur la corruption entourant le milieu de la construction. L’image de Montréal est entachée, le milieu des affaires se sent interpellé. C’est dans ce contexte qu’à l’automne 2012 M. Ménard décide de mettre ses talents à contribution pour redresser Montréal. Il contacte la branche montréalaise du Boston Consulting Group et, de concert avec le groupe financier BMO, un plan est mis sur pied pour revitaliser la ville. Tel qu’on peut le lire dans le rapport présenté en février 2014, une cinquantaine de leaders montréalais ont été consultés.
Et c’est là, chers lecteurs, que se trouve l’explication de l’apparent conflit communautaire de lundi.
Pour l’étude, les personnalités consultées sur les volets qui touchent la santé et la vie sociale venaient toutes de grandes structures : hôpitaux, facultés de médecine, fondations institutionnelles et un regroupement provincial. Pas de trace d’organismes œuvrant directement avec les communautés. Suite au dépôt du rapport BMO-BCG et pour ne pas que ça reste lettre morte, M. Ménard a poursuivi ses efforts et, grâce à une plateforme web et la mobilisation de différents organismes, dont la Coalition montréalaise des tables de quartier, une communauté « Je vois Montréal » s’est créée et de nombreux projets ont été rassemblés sous cette bannière, jusqu’à l’événement de lundi à la place des Arts. Le pari de M. Ménard est gagné : le maire Denis Coderre va créer un bureau de suivi qui permettra d’accompagner les projets « Je vois Montréal » à travers les dédales de l’administration municipale. Mme Diane de Courcy devrait ainsi prendre le relai.
Quelle leçons est-ce que le milieu communautaire peut tirer de ce succès? Est-il envisageable de chercher une boîte de consultants qui feraient du travail pro bono comme le BCG, mais au service des communautés au lieu des entreprises? La question se pose.