« Les gens qui se croient blancs », c’est comme ça que l’auteur et journaliste Ta-Nahisi Coates appelle les Américains qui se reconnaissent dans une certaine idéalisation conquérante de l’identité américaine. C’est vrai que j’ai le teint clair et on ne peut pas dire que j’ai peur des policiers tant que je ne vois pas l’escouade anti-émeute lancer des gaz lacrymogènes ou tirer des balles de plastique dans la foule. C’est vrai aussi qu’il existe des parents qui doivent expliquer à leurs enfants qu’ils sont Noirs, justement en raison du danger que la croyance blanche représente pour leur intégrité physique. Je n’ai donc pas le choix d’accepter qu’on perçoive d’abord la pâleur de ma peau, et dans cette pâleur, la destinée d’un peuple blanc. Ainsi se perpétuent les croyances et l’essentialisation de toutes ces races qui n’existent pas aux yeux de la science.
En fait, je suis certain de ne pas être blanc. Ni dans mes gènes, ni dans l’image que j’ai de moi, il n’y a de race. Pourtant je vis dans un monde où l’idée de race est partout présente : dans la publicité, dans la fiction, sur la scène politique. C’est un effort de tous les instants de ne pas être blanc, puisqu’on fait tout pour me faire croire le contraire.
Je suis un homme. Ça aussi j’en suis sûr. Je ne l’étais pas au début, parce que j’ai d’abord été un bébé et un bébé ça n’est pas encore un homme. Je le suis devenu, cet homme.
Aujourd’hui, ça prend du courage pour affirmer sa fierté d’être un homme, mais je le fais. Je trouve important de le dire parce qu’il est faux de croire que l’homme est un ennemi de la femme. Le 6 décembre, c’est la journée de commémoration des victimes de la tuerie de Polytechnique : toutes des femmes qui ont été tuées parce qu’elles étaient des femmes, toutes des femmes qui étudiaient en génie, une profession à forte prédominance masculine. Cette année, en plus, c’est l’année du mouvement #moiaussi, un mouvement qui a révélé l’ampleur du problème des inconduites sexuelles à tous les niveaux de la société. Il est donc d’autant plus important de dire qu’on peut être fier d’être un homme : un homme qui ne confond pas son propre désir avec celui de l’autre, un homme qui n’écrase pas l’autre, un homme qui ne hait pas l’autre.
Cette année, la commémoration met l’accent sur la situation des femmes qui sont aussi aux prises avec des difficultés sociales accrues attribuables, par exemple, à la race, au handicap et au milieu socio-économique. C’est ce qu’on appelle, dans le jargon, l’intersection des luttes.
Par un heureux hasard, Montréal accueillait en novembre le 11ème Sommet du genre (« Gender Summit 11 ») pour l’égalité des sexes dans les domaines des sciences, de l’éducation et du développement. Ce que j’en retiens, pour avoir écouté le panel sur l’égalité des genres et la diversité dans le milieu académique, c’est que les moyens préconisés pour atteindre une meilleure représentativité dans ces domaines sont d’implanter des programmes de mentorat et d’organiser des ateliers de sensibilisation aux biais implicites. Cependant, si les panélistes s’entendaient pour dire qu’il existe des causes systémiques aux inégalités, ils ne voyaient pas comment ces moyens d’intervention individuels permettraient une transformation au niveau de la société dans son ensemble, ce qui est le véritable enjeu.
Lors de ce panel, j’ai noté une réponse surprenante de d’Elizabeth Croft de l’Université de Colombie-Britannique. À la question légitime d’une participante qui lui demandait quoi répondre aux critiques des politiques d’équité comme les critiques exprimées par Margaret Wente, chroniqueuse au Globe and Mail, madame Croft a simplement répondu qu’il existait des bons et des méchants et qu’il était peine perdue d’argumenter dans ces situations-là. Pourtant, l’exclusion de facto des critiques provenant de l’extérieur des populations marginalisées est précisément la faiblesse de l’argumentaire intersectionnel. Ce qui est tout à fait acceptable dans des situations de lutte pour la reconnaissance ne l’est plus au sein d’organisations internationales comme le Gender Summit et l’organisme très proche « Equality Challenge Unit » qui visent à imposer des normes contraignantes aux universités. Espérons que cette faiblesse sera corrigée, car la question de l’égalité est trop importante pour qu’on prenne de mauvaises décisions.
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À la mémoire de Sonia Pelletier, Anne-Marie Edward, Anne-Marie Lemay, Annie St-Arneault, Annie Turcotte, Barbara Daigneault, Barbara Klucznik-Widajewicz, Geneviève Bergeron, Hélène Colgan, Nathalie Croteau, Michèle Richard, Maud Haviernick, Maryse Leclair et Maryse Laganière.