Alors que le Camp de la Rivière est toujours en lutte pour faire reconnaître l’aberration des projets d’extraction pétrolière au Québec, les discussions s’engagent toujours au sein des groupes environnementaux pour faire vivre le momentum de la situation. On dit d’une situation qu’elle a son momentum au moment où l’engagement des acteurs se révèle critique face à la situation. Ce momentum, c’est le moment pour les acteurs de réunir leurs forces et de prouver leur raison en rattachant les citoyens à l’engagement. Plus la situation du Camp de la Rivière est mise en lumière, plus on constate l’enchevêtrement des enjeux. L’extraction pétrolière et gazière n’a plus besoin d’études bien approfondies pour révéler la manière avec laquelle elle s’invite sans respect pour personne en imposant un développement incapable de participer à l’économie locale. L’extractivisme, c’est une exhibition de force sur les territoires qui prend toutes les allures d’une mafia dégénérée en se permettant d’engloutir les fonds publics, d’établir son contrôle par-delà ce que la loi arrive à réglementer, en actionnant les municipalités récalcitrantes, tout cela, pour s’enrichir à perte sur le dos des autres ressources, des travailleurs et des communautés. L’acceptabilité sociale du projet, alors qu’elle apparaît comme une nouvelle forme de critère de faisabilité à imposer, ressort insuffisante à elle seule face au contexte. La situation à laquelle on fait face avec ces corrompus impénitents, c’est celle d’une impasse politique à laquelle on se retrouve acculés et contre laquelle on doit se remettre à nos forces communes. Celles-ci sont les outils de nos municipalités, les droits et la cause des luttes autochtones ainsi que le front militant de ce grand corps de résistance. Afin d’exposer notre momentum, je vous présente ici les trois grands axes de lutte contre l’extraction, soit les municipalités, le cadre réglementaire et l’activité du Camp de la Rivière. Pour établir notre rapport de forces, il faut saisir l’occasion et rendre justice à la valeur des efforts sur lesquels l’enjeu repose. Il se révèle que le Camp de la Rivière est un rempart absolument crucial qui doit pouvoir se perpétuer malgré l’hiver qui s’en vient. Pour cela, il faut le sortir de la minorité et exposer sa réalité profonde, celle où l’on a compris qu’il joue le rôle présentement du phare écologique du Québec contre les hydrocarbures.
L’engorgement juridique municipal
Le 5 septembre dernier, la ville de Ristigouche Sud-Est a fait une première comparution dans le cadre de la poursuite intentée à son endroit par l’entreprise Gastem. Poursuivie à la faillite pour 1,5 million de dollars, cette municipalité de 157 habitants aurait contrevenu aux activités de l’entreprise en mettant en place en 2013 un projet de loi restreignant le forage à moins de 2 km des sources d’eau potable administrées par la municipalité. Cette poursuite baillon est évidemment jugée inadmissible par l’avocat de la municipalité, Maître Jean-François Girard, à raison d’un escamottement évident de procédures de contestation de la décision législative. Si Gastem a l’intention de contester la position de la municipalité, l’entreprise doit d’abord prouver que la loi en question est inadmissible, ce qu’elle n’a pas fait. La poursuite est, pour ainsi dire, une contrainte systémique appliquée à la localité. Cette poursuite s’inscrit de facto dans un registre de poursuites politiques dites d’engorgement judiciaire ou SLAPP (Strategic Lawsuit Against Public Participation). Les SLAPP représentent donc un mouvement patronal de contestation du pouvoir citoyen. À titre indicatif, on les observe en notant une nette augmentation depuis 30 ans de leur rapacité contre des organisations civiles et des États (dans la mesure où des contraintes importantes de libre-échange ont immobilisé le pouvoir des politiques économiques de l’État). Au sein du mouvement écologiste, ces poursuites sont de mieux en mieux connues et redoutées. L’Association québécoise de lutte contre la pollution atmosphérique avait, elle aussi, connu une telle poursuite pour 5 millions de dollars par la compagnie AIM en 2005 à raison que l’Association a exposé les manœuvres et nuit à la réputation d’AIM en dénonçant ses politiques. Finalement réglée « à l’amiable », cette poursuite fut exemplaire au Québec pour illustrer le levier judiciaire que veulent s’approprier les multinationales dans l’exploitation du territoire. À cet égard, les municipalités sont méfiantes et anticipent d’autres cas actuels que celui de Ristigouche. Elles entreprennent donc des démarches pour faire face à la menace aux territoires et à la législation municipale que constitue le projet de loi 106, loi cherchant dans les faits à former un système de contrôle économique sur les ressources. L’Union des Municipalités et la Fédération québécoise des Municipalités, accompagnées d’autres acteurs régionaux, ont réclamé une série de mesures au gouvernement pour protéger le pouvoir de réglementation des municipalités en matière d’administration du territoire et s’assurer de la capacité des municipalités à se protéger contre les poursuites-baillons. En établissant ce rapport de forces, elles engagent une lutte directe sur la question de l’administration des pouvoirs au cœur du néolibéralisme. La solidarité croissante entre municipalités dans ce dossier constitue dès lors un rempart fondamental afin de créer un cadre réglementaire permettant la prise de décision locale lorsqu’elle est attendue. Elle représente de ce fait une lutte majeure pour la capacité de résistance locale contre l’extractivisme.
L’aporie politique de la réglementation de l’exploitation des hydrocarbures : De nombreux facteurs contribuent à faire de l’extractivisme une activité dont les processus sont mal administrés. Outre le strict problème de la capacité des municipalités à exercer leurs compétences avec l’autonomie qui leur est conférée, de nombreuses failles apparaissent ici et là à travers les absurdités politiques qui surgissent. Si l’on ne parle pas de l’incohérence entre le développement pétrolier et la signature de l’Accord de Paris (COP21) ou, encore, de la difficulté à mettre en place des programmes environnementaux fédéraux efficaces en matière de gestion des conflits d’intérêts gouvernementaux, on doit relever quelques blocages directs à la politique citoyenne. Si j’insiste sur ces blocages, c’est qu’ils ont toutes les allures d’un contrôle de l’agenda public, lequel n’est pas même en mesure de rétablir l’équilibre dans le dossier des ressources naturelles. Étant donné que nous serions censés agir en tant que démocratie, cela impliquerait qu’on admette la légitimité des leviers de pouvoir locaux et régionaux. C’est évidemment sur ceux-ci seulement que l’on peut compter pour engager une progression juridique citoyenne vers des lois-cadres qui répondent aux problèmes confrontés par les citoyens. La capacité de décision est donc l’enjeu ici.
En bref, on a connu au Québec dans les dernières années une importante refondation du cadre législatif pour le développement des hydrocarbures. Sous le couvert principalement d’une rationalisation de la gestion, deux grands projets de loi, soit la loi 102 et la loi 106, ont réaménagé le contexte des pratiques d’extraction. La loi 102, d’abord, a visé à moderniser le régime d’autorisations environnementales. Elle a été défendue par les libéraux afin d’alléger le système de décisions de 30% des demandes d’autorisation au BAPE. La loi a prévu l’octroie de nouveaux pouvoirs démocratiques, mais, ce, en imposant des vides juridiques majeurs et une perte de pouvoir de décision sur l’économie du territoire. En abolissant les décrets ministériels et en accordant un droit de Veto aux promoteurs sur les renseignements accessibles, on a soutiré de l’espace public des occasions de délibérer sur la légitimité des projets. Cette loi participe ainsi à une accélération juridique des décisions de développement des hydrocarbures.
Ensuite, il y a eu la loi 106, grand projet de loi sur la politique énergétique 2030 et le développement des hydrocarbures. Alors que la loi 102 réduisait le débat public, la loi 106 opérait la transformation du privilège d’exploitation du territoire en droit corporatif. Cette loi formule en outre le droit aux pratiques de fracturation, le droit aux expropriations des citoyens par les entreprises suite à la phase d’exploration pétrolière et un retrait de pouvoirs stratégiques aux municipalités sur l’administration du territoire. Avec cette loi, l’ancien système juridique minier d’exploration des sous-sols (« claims ») devient un cadre d’exercice protégé pour les entreprises et accorde vis-à-vis des territoires un accès à peu près direct des processus de développement des hydrocarbures. Cela, bien évidemment, est un non-sens. La contestation fustige de partout : absence de catégorisation des zones naturelles exploitables, menace à l’autonomie des municipalités, contrevenante à l’obligation constitutionnelle de consultation des peuples autochtones, etc. Il s’agit, disons-le, d’une loi très risquée, laquelle a rapidement fait s’élever en épine les enjeux globaux de l’exploitation des hydrocarbures – ce qui aurait dû être prévisible politiquement. On a donc vu tour à tour les acteurs locaux se joindre à un front large de contestation : L’Union des Municipalités et la Fédération des Municipalités du Québec se sont positionnées contre en proposant des rectifications fondamentales; L’Assemblée des Premières Nations a encouragé la mobilisation déjà active des gouvernements traditionnels autochtones; des citoyens de l’Outaouais ont même engagé un mouvement pour s’approprier les claims sur les sous-sols miniers de leurs résidences (« Encore une autre maudite taxe surprise… »).
L’organisation de ce front d’acteurs et le fait d’une certaine unité ne sont pas le fruit du hasard ou d’une nécessité trompeuse. Hormis les contradictions qui préoccupent les acteurs institutionnels, un véritable mouvement tisse la toile du sens de ces enjeux. Au cœur de cette révolte contre le développement pétrolier, on retrouve le désir de défendre de nombreuses valeurs dont, plus consensuellement, l’écologie, l’autonomie locale et l’anticolonialisme. En ce qui concerne les deux premières, leurs origines sont plus atomisées. L’anticolonialisme, cependant, est beaucoup plus large et par évidence peut se comprendre à partir de la lutte quadricentenaire des peuples autochtones. Cela ne date pas d’hier pour les peuples autochtones de devoir se mobiliser contre les abus de l’État à l’encontre de ses propres obligations entourant la paix avec les premières nations. Plus récemment, la lutte sur les droits d’exploitation minière aura fait passer la lutte historique pour les droits sur le territoire en une lutte pour la protection ancestrale du territoire menacé par la crise écologique. L’établissement d’une juridiction écologique des territoires, en tant que territoires géographiques humains selon la loi, passe par la reconnaissance des titres ancestraux des premières nations. Réciproquement, la reconnaissance effective des titres ancestraux passe par la restitution des droits aux communautés traditionnelles d’exercer un pouvoir de décision selon leurs gouvernements respectifs. Ce contexte nourrit une vision autochtone de l’écologie sociale qui s’expérimente dans les liens entre les mouvements sociaux écologistes et le front d’émancipation des premières nations. Les nouvelles luttes légales des gouvernements traditionnels autochtones devant les tribunaux prennent ainsi un virage anti-systémique auprès de mouvements sociaux comme celui de Junexit du Camp de la Rivière. Les valeurs traditionnelles autochtones et les nouvelles valeurs écologistes s’y rencontrent en une situation d’alliance stratégique très profonde à travers laquelle se redéfinit l’idée de vivre-ensemble ainsi que la critique des institutions politiques. Il apparaît alors que la lutte aux hydrocarbures engage la société québécoise vers des transformations de fond.
Le Camp de la Rivière
Alors que je parlais de l’importance de la dimension militante du front de lutte contre les hydrocarbures, il a fallu insister sur une description plus étendue de la cause afin de mieux revenir vers l’action des écologistes. En prenant le temps de dénouer le problème, on se rend compte que le Camp de la Rivière tient une importance dans la cristallisation des revendications de fond engagées par la lutte aux hydrocarbures. Le Camp de la Rivière s’est d’abord érigé stratégiquement en soutient au blocage du puits Galt4, en connaissance que ce blocage allait être démantelé. On a estimé qu’il importait de maintenir la politisation de l’accès universel aux terres publiques, remise en cause par les privilèges octroyés au développement pétrolier. Ce camps a été monté en prenant compte de l’importance du rapport à la communauté de gespe’gewa’gi à laquelle l’autorisation de campement et le soutient ont été préalablement discutés. En choisissant ainsi de se constituer comme campement permanent, les groupes à l’origine de l’initiative ont fait le choix de former pertinemment une expérience de liaison militante permanente dans la localité.
Ainsi, en plus de constituer une activité d’occupation permanente et un espace de réflexion (plus ou moins médiatisé), le camp est aussi un lieu d’expérimentation, d’établissement de la lutte dans la localité et, surtout, un lieu de fondation militante entre écologistes et autochtones. Junexit représente la cause commune alors que le Camp de la rivière constitue le lieu commun. Le Québec devrait quelque part pouvoir comprendre qu’il peut rejoindre le Camp de la rivière, que ce dernier peut demeurer un repère géographique jusqu’à plus de 900km de Gaspé si l’on peut se mobiliser aussi loin. Les membres qui s’unissent en faisant vivre le camp ont la volonté de le rendre permanent. Ils ont le désir de pouvoir le partager, y réfléchir, l’entretenir et, surtout, le politiser. Aussi longtemps qu’il y aura projet de forage, le camp durera. Pour y arriver, il faut embrasser son importance et chercher à y vivre, à le ressourcer et à le faire vivre où que l’on soit. Peut-être, à cet égard, peut-on s’inspirer des nouvelles tentatives des mouvements sociaux connectés stylés à la Nuit Debout – Paris pour façonner l’expansion de l’imaginaire et l’investissement collectif au Camp de la Rivière. De cela pourrait peut-être resurgir une forme mieux concrétisée de ces mouvements globaux des places.
Ouverture
La situation militante que l’on engage est plurielle et fait l’exemple d’une tentative importante de déconstruction juridique d’un rapport de force par le capitalisme globalisé. Sortir le pétrole de la Gaspésie mènera probablement à entreprendre des luttes inattendues avant d’atteindre nos gains substantiels. Notre victoire se présentera cependant comme un coup fatal porté aux hydrocarbures au Québec. En plus de constituer un précédent clé pour éviter l’établissement d’une dynamique d’exploitation globale du territoire, il faut souligner l’importance de l’enjeu pour les pétrolières. Si l’île d’Anticosti a pu servir au financement pour la Gaspésie, elle a cependant été le cimetière boursier de plusieurs entreprises pétrolières. L’échec du projet Anticosti aura, par exemple, engendré des baisses jusqu’à 90% sur 5 ans des titres des entreprises qui s’y étaient engagées. La lutte contre les hydrocarbures cache donc une importante lutte anticapitaliste, pour qui veuille bien l’envisager, contre la bulle spéculative du pétrole d’extraction (à rentabilité réelle indéterminée). En contestant les pétrolières de la Gaspésie, assurons-nous donc comme militant.e.s qu’elles «prennent le bill» en sortant et que le contribuable leur indique le chemin.
Par Pierre O.