L’idée de cette série-choc est apparue suite aux attentats dont ont été victimes les journalistes du Charlie Hebdo, événement lui-même survenu peu de temps après les attaques à Ottawa ainsi que St-Jean-Sur-Richelieu, au Canada. La crainte des citoyens et citoyennes devant de tels actes, crainte tout à fait légitime, par ailleurs, est venue s’ajouter à l’horreur et à l’incompréhension face aux actes terribles commis au Moyen-Orient, par des gens prétendant parler au nom d’une religion. Alors qu’aujourd’hui, le Canada s’est lancée dans une guerre contre le groupe armé ”État islamique”, plusieurs sont inquiets devant la relance d’un certain débat identitaire québécois et la multiplication de reportages continus sur l’islam radical au Québec, dans certains médias. Et ce, d’autant plus que les plaies du débat houleux autour de la Charte des valeurs sont encore très vives. L’épisode des Pineault-Caron, en passage au Parlement du Québec, l’an dernier, est certes très loufoque pour plusieurs, mais il résume, à lui seul, l’espace qui a été donné dans l’espace médiatique à n’importe qui souhaitant parler. Au nom du droit de parole, cependant, la méconnaissance et l’ignorance ont eu largement leur place pour parler des personnes musulmanes de notre société et les paroles dites les plus ”sensationnelles”, pour ériger cette méconnaissance des personnes de foi musulmane, ont eu une place énorme dans les médias. On peut donc imaginer la dérive possible, dans l’esprit de plusieurs, dans le contexte politique et médiatique actuel. Nous avons donc voulu créer un espace d’information, en donnant la parole à des personnes que nous entendons très peu dans l’espace public et qui, pourtant, peuvent enrichir, grâce à leurs connaissances, nos réflexions collectives.
Le premier article traitait du militarisme et son impact sur les droits de la femme, un sujet qui fut abordé avec Jooned Khan, un spécialiste de la politique internationale. L’idéologie du militarisme, comme nous l’a expliqué M. Khan, n’est pas absente de la société québécoise et il serait probablement pertinent de se demander si elle est en cohérence avec les valeurs d’égalité homme-femme que nous prétendons chérir dans notre société. En effet, M. Khan est revenu sur les conséquences pour les femmes de l’idéologie militariste, tout comme le fait que l’OTAN, dont le Canada fait partie, qui s’est battu récemment contre les talibans, en Afghanistan, a lui-même armé ce groupe et ce, face à un régime qui leur octroyait des droits. Ce sont donc les femmes qui ont fais les frais de la montée en puissance des Talibans, qui ont dû subir le régime des talibans avec son oppression, pendant plusieurs années, avant de revoir arriver chez-elle une autre guerre, supposément pour les libérer, alors que la guerre, on le sait, engendre des victimes et surtout, que les femmes en sont les premières victimes!!! Nous vous invitons à prendre connaissance de l’interview de M. Khan, si ce n’est déjà fait, au lien suivant : http://www.99media.org/le-militarisme-une-menace-pour-les-droits-des-femmes/
Le deuxième interview que nous avons réalisé est celui avec Mme Claudine Thibaudeau, de SOS Violence Conjugale. La violence conjugale, comme nous avons pu le constater, est une problématique très courante au Québec et si la province a longtemps été pionnière dans la lutte à ce fléau, elle a néanmoins perdu des plumes depuis plusieurs années. L’entretien avec Mme Thibaudeau nous a permis de voir que d’autres pays ont pris de l’avance sur la manière de traiter cette problématique pour mieux protéger les femmes victimes de violence conjugale. En ces temps d’austérité, alors que la problématique ne semble pas diminuer, et ce, alors que les besoins sont criants et que les ressources manquent pour les femmes victimes de violence conjugale, il serait peut-être bien d’enclencher une réflexion sur le travail qui reste à faire, pour les femmes de notre société, afin d’aller vers un mieux-être pour elles. Pour lire l’entretien de Mme Thibaudeau, voici le lien : http://www.99media.org/la-violence-conjugale-au-quebec-2/
Le troisième entretien est celui avec M. Mathelet, chercheur pour l’UNESCO-UQAM, sur les fondements de la justice et de la démocratie où il est en charge du Projet de recherche et de formation sur l’islamophobie et le fondamentalisme. Dans son entretien, M. Mathelet nous a exposé ce qu’est l’islamophobie mais aussi comment elle s’est développée. Idéologie d’abord venue de l’extrême-droite politique, elle a ensuite traversé dans la droite politique, en Europe, notamment après que des politiciens, en panne de projets politiques, aient subventionné des personnes afin de développer un discours islamophobe. On a pu constater que la gauche a emboîté elle aussi le pas, même si son discours politique n’est pas semblable à celui entretenu par les courants de droite. L’entretien a également abordé la question des mouvances d’extrême-droite qui tentent aujourd’hui d’accéder à des instances du pouvoir politique, au Québec. Nous souhaitons attirer l’attention sur une partie qui n’a pu être présentée lorsque nous avons publié l’entretien de M. Mathelet. Celui-ci nous a en effet parlé de l’évolution de la radicalisation islamophobe. Si, tout d’abord, il s’agit d’un propos vexatoire lancé à une femme voilée, dans un stationnement, par exemple, on peut voir, avec le temps, que cela peut évoluer en une attaque contre un centre culturel ou contre une mosquée. M. Mathelet nous a nommé que quand on se penche sur les motivations de ces auteurs d’attaques, on peut constater que les événements qui forment l’actualité sont dans leurs esprits. Il y a, selon M. Mathelet, une cohérence dans l’agression et ce qui est présenté aux nouvelles. M. Mathelet a également abordé le fait qu’avec le temps, on peut voir que ces personnes peuvent en venir à appartenir à des groupes précis qui sont mieux organisés et ce, pour agresser les personnes musulmanes. Il nous a également nommé que l’arrivée du groupe Pediga, au Québec, signifie, qu’en matière de racisme, un cap important a été franchi dans la province (pour en savoir plus sur ce groupe et son idéologie, voir l’entrevue avec M. Dolan). Enfin, M. Mathelet nous a parlé du racisme de ”valeur ou de culture”, qui est à se développer, et qui ne se base pas sur le physique-biologique des personnes et les intentions de ce racisme. Pour lire l’article, voici le lien : http://www.99media.org/islamophobie-et-extreme-droite-au-quebec/
Le quatrième entretien fut fait avec Mme Yara El-Ghadban. Nous devons ici préciser qu’il y a eu une erreur qui s’est glissée dans la publication: il aurait fallu indiquer qu’elle est anthropologue et écrivaine. Elle a déjà enseigné pendant plusieurs années à l’Université de Montréal et plus récemment à l’Université d’Ottawa mais n’y travaille plus pour le moment. Co-directrice de l’ouvrage ”Le Québec, la Charte, l’Autre et Après”, elle travaille sur les questions identitaires et les dynamiques de pouvoir. Mme El-Ghadban nous a parlé du racisme en général, qu’il soit fait sur des bases biologiques ou de valeurs, ainsi que la distanciation qui se fait, dans les deux cas, entre le ”Nous” et le ”Eux”. La différenciation ne permet plus de voir les points que nous avons en commun, malgré nos différences. Ayant abordé le fait que le monde chrétien et musulman ont longtemps reconnu leur similarités comme groupes, elle a abordé des conséquences de l’Après-Charte, conséquences qui devraient nous questionner. Devant un racisme qui s’est décomplexé depuis le dépôt du projet de Charte des valeurs, certaines femmes (voilées ou pas) en paient le prix en terme de rejets et d’insultes, vu leurs origines ethniques et leur religion, conséquence de paroles, notamment, prononcées par des personnalités politiques. Mme El-Ghadbane nous a aussi parlé du fait qu’il y a beaucoup de condamnations qui se font dans le monde arabe, face à l’extrémisme violent mais que l’on ne voit pas toujours passer cela ici. Elle nous a parlé de la nécessité d’une auto-critique par rapport à soi-même, comme société, auto-critique qui ne se fait pas toujours, notamment avec les Autochtones, et ce, alors qu’on demande aux autres de faire leur propre auto-critique. Ayant fait des recherches au Moyen-Orient, elle a pu nous dire, aussi, lors de l’entretien, qu’il y a une réflexion pas seulement sur l’islam radical mais aussi sur l’islam en général, qui se fait dans les pays arabes (extrait que nous ajoutons ici et que nous n’avions pas pu publié lundi). ”Ces réflexions se font par rapport à l’islam et sa place, ses liens avec la politique, comment réconcilier un héritage riche avec les conditions actuelles et les défis actuels, aussi avec les blessures du colonialisme et plus de quarante ans de dictature. Il y a bien sûr des condamnations, mais il y a aussi des efforts de comprendre ce qui mènent les jeunes vers le radicalisme. Il y a un profond questionnement sur soi dans le monde arabo-musulman en ce moment…un questionnement très complexe et qui n’attire pas l’attention qu’il mérite”. Pour prendre connaissance de l’entretien, si vous ne l’avez pas fait, voici le lien : http://www.99media.org/le-racisme-au-quebec/
Notre dernier entretien, celui avec Francis Dolan, portait sur l’arrivée de groupes fascistes au Québec. Après nous avoir expliqué ce qu’est le fascisme, nous avons pu constater que cette idéologie violente peut faire beaucoup de victimes, que ce soit chez les immigrants ou les réfugiés. Par contre, l’entretien met clairement en évidence le fait que le fascisme peut également s’attaquer aux féministes, aux homosexuels, aux groupes socio-démocrates, etc. L’exemple de Breivik, en Norvège, qui s’est appuyé sur les propos de tels groupes fascistes, pour commettre 77 meurtres, sur des jeunes socio-démocrates, démontre que les conséquences que peuvent avoir les groupes fascistes sont sérieuses. L’arrivée du groupe Pediga, au Québec, a donc de quoi inquiéter, tout comme la présence du groupe de la LDJ (Ligue de défense Juive), qui est d’ailleurs classé comme organisation terroriste par certains pays. http://www.99media.org/arrivee-de-groupes-fascistes-au-quebec/
Cette série-choc n’avait pas pour ambition d’explorer des thèmes faciles ni même agréables. Cependant, elle a été faite pour emmener des réflexions critiques sur la place publique et pour favoriser des questionnements sur soi-même, en tant que société. Ces questionnements peuvent déranger, certes, mais ils sont probablement nécessaires si l’on ne veut pas se figer dans une schizophrénie sociale, ou des valeurs nous sont érigées comme des vérités incontestables qui ne correspondent pas tout le temps aux faits. Nous tenons à dire un très grand merci pour la participation des diverses personnes interviewées et pour l’intérêt manifesté par de nombreux et nombreuses lectrices. Sous peu, après une petite relâche, nous poursuivrons la série-choc, ou nous aurons également l’occasion de lire d’autres personnalités très intéressantes. D’ici là, bonnes réflexions et surtout, commençons à trouver ce qui nous unit les uns et les autres….
Photo: Église chrétienne copte, au Caire, en Égypte.
Crédit photo: Marie-Andrée Turcotte